Mon travail s’apparente à la fois à celui de l’archéologue, de l’historien, de l’archiviste, du collectionneur et du géographe. Dans la matérialité du monde, je cherche les attributs mémoriels des choses qu’ensuite, je viens réactualiser par différentes méthodes de travail empruntées à ces professions.
Le fil conducteur qui relie l’ensemble des œuvres de ma carrière provient d’une attirance pour les objets. Les choses me renseignent sur l’évolution, l’histoire, les développements, les choix et les décisions collectives. Marqueurs temporels, sociaux, culturels, politiques et économiques, on peut dire des objets qu’ils appartiennent tous à un temps passé, qu’il soit ancien, lointain, récent ou proche. Les choses ont une vie et une biographie (I.Kopytoff). Leur durée de vie est variable, leur parcours est aléatoire et leur trajectoire incertaine. Je m’intéresse à tous les objets, les petits comme les gros, les objets du quotidien ou les immeubles. Avec le temps, leur bagage génétique acquiert une valeur patrimoniale parce qu’ils rendent compte de leur mode de fabrication, de leur histoire et de leur utilisation par les individus ou la société qui en a fait usage. Ce matériau constitue la base de mon travail.
Longtemps, j’ai étudié et expérimenté la ville, car mon « entourage matériel » (Halbwachs), constituait un « réceptacle sensible, immédiat et quotidien de la mémoire collective[1]. Depuis le retournement planétaire causé par la pandémie et la progression du changement climatique, mon champ de pratique se concentre sur le patrimoine des territoires naturels confrontés à l’évolution de l’occupation humaine. Ma posture actuelle engagée aborde les notions de frontière et de seuil, c’est-à-dire l’état de fragilité de la nature et le sentiment de perte tragique et irréversible qu’induit chaque espace conquis par un être humain.
Ce propos, je l’explore en créant des cartes géographiques foncières réalisées avec des clous et de la corde présentées sous la forme d’installations murales grands formats. On y voit le découpage de lots, de terrains jouxtant des terres agricoles. Je crée également des œuvres photographiques et des vidéos résultant d’installations artistiques éphémères in situ réalisées en plein air mettant en scènes des maisons miniatures intégrées à des écosystèmes naturels. La maison est un référent que j’utilise pour évoquer la présence des humains. Dans ce travail, j’explore le changement d’échelle par la prise de point de vue rapprochée pour créer une tension entre le réel et l’imaginaire. Mes sculptures, pour leur part, réalisées avec des petites unités miniatures traitent du développement des artères principales des villes et de la jouissance de propriétés privées.
Par cette démarche, les choses me servent à ramener à notre conscience des faits historiques oubliés et à souligner des enjeux contemporains. Mes œuvres s’élaborent généralement sous la forme de séries thématiques : groupe de dessins frottis, inventaire de choses et groupe de sculptures-assemblages d’objets trouvés, suites photographiques. La création d’installation fait aussi partie de mon mode d’expression.
[1] Le temps des objets, Pablo Cuartas, thèse Hal.Id 02034576, 2019, p. 305